dimanche 7 mai 2017

La peur du silence



Georges avait ralenti  son geste. Il arrangeait sur les présentoirs les frivolités que les automobilistes devraient acheter tandis qu’il remplirait le réservoir de leur machine.

La fin de la journée s’étirait, comme un vieux chien étire ses pattes pour passer d’une sieste à l’autre.  Le geste de Georges était toujours aussi précis que d’habitude, mais le tempo se faisait vague.

Il n’avait pas cependant l’esprit ailleurs. Au contraire. Il éprouvait un sentiment d’étrangeté, sans comprendre que son esprit prenait conscience de ce qui l’entourait, à mesure que le jusant de ses préoccupations coutumières découvraient des coquillages sonores sur le sable soyeux du silence du soir.

Sur chacune des trois pompes à essence, les néons formaient un bourdonnement électrique en un unisson imparfait de basse continue. Plus loin, l’éclairage de la boutique et l’enseigne reprenaient la mélopée monocorde, chacune dans son registre.

L’asphalte était muet. Peut-être vrombirait-il à la nuit tombée d’un bolide pressé.

La futaie elle-aussi s’était tue. Le vent s’était assis. Les arbres rayonnaient leur fraîcheur vespérale comme une fin de sourdine.

Le ciel enfin, vêtu entre chien et loup, paré d’un bijou oublié par le soleil, s’apprêtait à entonner le chant des étoiles.

Georges sentait poindre la peur du silence.


(C) Philippe Narat (sur un tableau de Hopper) - 2017

Silence à perpétuité



Je rêve de ne plus craindre ses yeux. Et leurs longs silences.

Il est trop tard pour trouver les mots. La nuit est avancée.

Elle ne pardonnera pas.

Bientôt l'aube.

Je m'y résous

Dans l'immense hall de l'hôtel, tout s'est figé, je n'ose plus respirer. La lumière de l'aquarium projette des arabesques sur son visage blême.

Les lèvres serrées, l’œil seulement, l’œil toujours, par instants, s'incline doucement dans ma direction. Le bleu profond ouvre une porte derrière l'iris, une cachette que je perçois à peine. Île tranquille, paradis de mon émoi.

J'ai dans mes poches mille cartes aux trésors.

Toutes fausses.

Robinson sur le rivage, je dois purger ma peine... Regarder sous la paupière, voir danser en silence les magnifiques poissons et attendre, sans un mot, la rédemption. Si elle le voulait bien, elle me laisserait franchir la mer, pénétrer l'eau de son âme, troublée, frissonnante.

Comme je m'en veux.

Enfin un signe, un son qui me sort de ma torpeur. Un battement de cil.


(C) Julie Narat - 2017


lundi 6 février 2017

J'ai cru que c'était un poème



J’ai cru que c’était un poème 

Ouvrez moi cette porte que j’aille ébouillanter cette peste, arracher ses joujous et sortez-vous de d’vant, tas de vieilles morues putrides et pauv’ mioches morvisants.

La vie est une sale garce qui m’a donné une truie comme semblant d’épouse.

Tu regardais où la providence quand le curé nous a mariés ? Tu t’es saoulé la veille, ma belle étoile en toc !

Avec le p’tiot qui supplie et la mémé qui râle comme si elle avait gobé un rat plein de rage, je peux rien décider de moi-même !

Et de tous les corniauds du village, y en aurait pas eu un pour me prévenir ?

Te souviens-tu du jour si clair, cette aube bleue où tu as vu un mirage ? Pense aux trésors découverts dans les lagons, ces caresses extatiques où nous avons vaincu toutes les peurs du monde pour nous chérir plus fort.

Vagues dans le bide. Vieux relents d’alcool trop vaseux, de pauvres croûtons caoutchouteux.

Une arnaque de la sorte, j’m’en remets pas.

Et les autres qui se bidonnent comme si c’était mardi gras.

Je m’en souviens comme hier, mon amour, ta promesse de me porter sur les montagnes, là où la terre de s’affaisse pas, ne jamais flancher et rire éternellement.

Un soir où je devais pas tourner rond sûrement, en orbite sur nos deux pieds on en serait jamais venu là.

Auprès des autres on pensait faire bonne mine,

Dans le fond je l’ai toujours su et puis un jour

Quelqu’un m’a dit que j’étais maudit !

Un autre qui tombait pas encore de la dernière pluie, tiens, un freluquet avec des histoires à coucher dans le ruisseau et jamais s’en relever.

L’on pouvait pas prévoir que la sirène de la fontaine deviendrait la sorcière du marécage.

Et toi qui rit comme une chèvre. Tu m’as eu, tu m’as bafouillé la tête et ruiné les idées, je vais vider cette bouilloire sur ce cauchemar et ils verront tous, les marmots, quel succube tu fais ! Oh, sinon, c’est moi qui me brûlerai la cervelle !


(C) Julie NARAT

mercredi 1 février 2017

Confession silencieuse



Tout commence par un adieu. Du balcon, sa main sortie de la portière, dernier signe, pâle reflet de notre belle histoire.

C’est tout ce qu’il me reste, pas un adieu, juste l’ombre de son sourire, une graine semée à jamais au fond de ma rétine, une feuille vierge, miroir de mon imaginaire.

« Je te reconnaîtrais entre mille » me disait-il…

Par contre, moi j’ai pu vérifier que de mémoire je ne reconnaîtrais ni sa main, ni ses lèvres, ni ses pieds, ni son sexe.

Dans mes draps humides, j’ai rêvé pendant des mois que l’on me demandait de le reconnaître seulement à la vue de ses doigts ou de ses orteils. Longs, fins, roses ou bruns écrasés ou boudinés. Je ne sais…c’est le néant.

J’aurais préféré que l’on me propose sa voix chaude et appuyée celle qui hante mes oreilles.

Le temps s’est écoulé comme un sablier géant. Année après année, comme un livre ouvert au hasard éternellement à la même page. Comme si le génie des lieux tenait mon corps prisonnier d’une montagne d’obstacles minuscules mais tellement prégnants.

De temps en temps, un éclair de lucidité et je retrouve vie, quelque fois un ciel dégagé rarement un éclair dans l’azur. Il m’a dit au « revoir « jamais « adieu ». J’en ai croisé des pieds…des mains. J’en ai tenté des procédures afin d’éclaircir cet épais mystère. Je suis toujours son esclave vingt ans après cela.

A chaque saison à la période des dernières fleurs d’automne, ma quête s’anime à nouveau et dure l’hiver entier. La thèse du crime a été un moment évoquée, mais aucun élément n’est venu étayer cette hypothèse et ma torture a continué.

Seul mon chat m’a accompagné avec amour et tendresse durant ces années. Les amis ont déserté. Mon corps a cédé sans bruit comme une muraille qui s’effrite en l’absence de soin et d’attention.

Je me disloque en petites particules. Mes rêves sont en lévitation. J’ai beau faire des pieds et des mains. Je ne peux quitter le théâtre de notre conversation ininterrompue.

C’est décidé je déménagerai.



(C) Geneviève BONIFAIT

mardi 31 janvier 2017

La diva des bas fonds



Elle s’avance entre les plis du rideau poussiéreux, jadis rouge vif, aujourd’hui rouge sang. Maintenant, elle est debout au centre de la toute petite scène en demi-lune, à peine surélevée de trente centimètres au dessus du plancher de la salle.

Un rai de lumière blême échoue à éclairer sa pauvre silhouette. Absorbé par la fumée des cigarettes et la noirceur des âmes, il se perd dans les ténèbres ambiantes.

Les souteneurs, maquignons à la petite semaine perdent au poker le prix de la misère. Les recéleurs, entre deux verres de whisky, négocient âprement la marchandise au cours du moment. Les tueurs, espérant un contrat juteux, trainent auprès des caïds qui planifient le coup du siècle avec leur bande. Billets et pièces râpent le bois des tables. Les bouteilles s’entrechoquent et l’odeur de l’alcool dispute celle de la peur.

Tout un monde bruisse, grogne, gronde, menace. Un brouhaha monocorde de paroles mauvaises sourd de ce versant noir de l’humanité.

Quand un timbre chaud s’élève, monte, s’envole, perce l’atmosphère viciée. C’est le cristal de la source qui lave ce qu’il touche. La mélodie enfle, tournoie, sinue, faiblit jusqu’à s’éteindre, pour mieux s’élancer et se maintenir au-delà du possible.

Les murmures s’apaisent, les yeux s’ouvrent grand, les regards se tournent vers la scène. On ne boit plus, ne fume plus, ne chicane plus. On écoute, se laisse envelopper, pénétrer par le beau, le bon, le juste.

Des frimousses de petits garçons oubliés affleurent sous les trognes d’assassins.

Puis la voix se tait. La diva des bas-fonds glisse derrière les plis du rideau. 

Un silence se pose, essaie de s’installer. Chacun attend.

Mais la pègre n’a cure d’une parenthèse d’innocence. Les enfants de jadis disparaissent à jamais dans les limbes des souvenirs perdus et la noirceur reprend possession de son monde.


(C) Monique Thomières

vendredi 20 janvier 2017

Ouvrez-moi cette porte



Ouvrez-moi cette porte sur un long couloir
La vie est interminable, nous n'en voyons pas le bout

Tu regardais derrière, quelle erreur !
Avec le temps tu apprendras à porter ton regard loin, toujours plus loin
Et de tous les côtés la vie t'enveloppera.

Te souviens-tu de ce couloir long, étroit, sans fin ?
Vagues espoirs brisés…

Une vie se déroule tantôt chaotique, tantôt paisible
Et les silences s'immiscent dans les interstices.


(C) Primrose DUPIC