Georges avait ralenti
son geste. Il arrangeait sur les présentoirs les frivolités que les
automobilistes devraient acheter tandis qu’il remplirait le réservoir de leur machine.
La fin de la journée s’étirait,
comme un vieux chien étire ses
pattes pour passer d’une sieste à l’autre.
Le geste de Georges était toujours aussi précis que d’habitude, mais le
tempo se faisait vague.
Il n’avait pas cependant l’esprit ailleurs. Au contraire. Il éprouvait un sentiment
d’étrangeté, sans comprendre que son esprit
prenait conscience de ce qui l’entourait, à mesure que le jusant de ses
préoccupations coutumières découvraient des coquillages sonores sur le sable
soyeux du silence du soir.
Sur chacune des trois pompes à essence, les néons formaient
un bourdonnement électrique en un unisson imparfait de basse continue. Plus
loin, l’éclairage de la boutique et l’enseigne reprenaient la mélopée
monocorde, chacune dans son registre.
L’asphalte était muet. Peut-être vrombirait-il à la nuit
tombée d’un bolide pressé.
La futaie elle-aussi s’était tue. Le vent s’était assis. Les
arbres rayonnaient leur fraîcheur vespérale comme une fin de sourdine.
Le ciel enfin, vêtu entre chien et loup, paré d’un bijou
oublié par le soleil, s’apprêtait à entonner le chant des étoiles.
Georges sentait poindre la peur du silence.
(C) Philippe Narat (sur un tableau de Hopper) - 2017
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